Je connais Marina depuis plus de 20 ans. A l’époque, elle faisait partie de l’équipe de France d’équitation jeunes cavaliers et s’illustrait par ses résultats en concours hippiques internationaux. Son destin l’a rattrapé et elle est entrée au Conservatoire d’Art dramatique. Je m’en souviens, c’était « juste pour voir »…

Elle est aujourd’hui la flamboyante comédienne que l’on connaît, ancienne pensionnaire de la Comédie Française, récompensée en 2007 par le César de la meilleure actrice dans le film de Pascale Ferran, Lady Chatterley. C’est surtout, pour moi, au théâtre que Marina déploie toute sa puissance grâce à des rôles d’une envergure prodigieuse à la hauteur de son talent : Phèdre, Lucrèce Borgia, Mademoiselle Else… Sa présence singulière, fougueuse, troublante, brute et lumineuse a séduit les plus grands metteurs en scène et réalisateurs : Patrice Chéreau, Yves Angelo, Claude Miller, Julian Schnabel, Jacques Weber, Nina Companeez, …

Elle reprend Ivanov de Tchekhov à l’Odéon en Octobre, mis en scène par le grand Luc Bondy. Cette pièce, très contemporaine, parle de la cruauté ordinaire, comment les puissants idolâtrés un jour se font piétiner le jour suivant. Ivanov incarne le leader charismatique en plein burn out qui sombre dans la dépression. Marina joue son épouse, amoureuse idéaliste, qui ne se remettra jamais de cette chute.

Je me suis intéressée à son regard sur la puissance des metteurs en scène ou réalisateurs que je compare à des dirigeants d’entreprise. Ils partagent la même posture de leader influent. Leur rôle est de définir une vision, monter des équipes, diriger, inspirer, motiver les troupes. Amener à jouer/travailler ensemble de la manière la plus harmonieuse et spectaculaire qui soit, en donnant le meilleur d’eux même, pour donner au public/clients une œuvre/un produit de qualité qui déplacera les foules/performera sur le marché.

Entretien

Un metteur en scène ou un réalisateur est un chef d’entreprise qui doit embarquer ses équipes dans sa vision et savoir les manager. Dans cette posture de leader, qu’est ce qui définit, selon toi, un bon metteur en scène ?                                                                                                                                            

C’est très rare que les grands metteurs en scène qui réalisent des œuvres majeures (je pense aux quelques génies que j’ai eu la chance de rencontrer) arrivent avec pleins de certitudes. Chaque nouvelle création est une nouvelle équation à résoudre. Ils ne font pas l’économie de la recherche, du questionnement, du doute. Ils osent se poser des questions et dire : « Là, je ne sais pas ». C’est très grande force. Dans l’élaboration d’un travail ou d’une création, il y a des moments où on a plus d’inspiration, on ne sait plus où ça va ou on a pris une mauvaise route. Un metteur en scène puissant est quelqu’un qui va prendre en considération le moment où ça ne va plus, où ce n’est pas assez bien, où cela ne répond pas encore à sa recherche de vérité, à sa sensibilité, à l’histoire qu’il a envie de raconter. Et paradoxalement les metteurs en scène qui m’ont le plus rassuré, sont ceux qui sont capables de dire : « Là, je ne sais pas.  On va arrêter, on va reprendre demain, peut être qu’on est mal partis… ». Pourquoi ? Parce qu’ils prennent complètement la mesure de leur responsabilité. Et ça, pour les suiveurs, les équipes, c’est très porteur et ça stimule la créativité de tout le monde. Ne pas évacuer la remise en question, vraiment la confronter, je trouve cela juste : être complètement sur le moment présent dans un principe de réalité et de lucidité.

Pourrait-on également penser que le fait qu’il soit vigilant à l’énergie et l’inspiration de ses équipes démontre un respect de votre travail, une reconnaissance de votre valeur, et que cela participe à cette réassurance ?                                                                                                                                                                            

Tout à fait. Il respecte le rythme des autres. Et se dire « Là en poussant cela n’apportera rien », c’est aussi une marque de confiance. Les metteurs en scène qui m’ont poussé le plus loin ou pour lesquels j’ai vu des équipes entièrement dévouées, étaient des gens qui partaient du principe qu’ils avaient confiance en ce que toi tu allais apporter. Sinon ils ne t’auraient pas pris. Ils sont sûrs de leur choix. Le pire, ce sont les gens à qui tu dois prouver qu’ils ont eu raison de te choisir, pour les rassurer eux.

Alors qu’un leader doit travailler et incarner sa confiance en lui même et en ses équipes ?

Complètement. Je me souviens de Chéreau par exemple. Il ne s’asseyait jamais. Il était constamment présent et physiquement engagé dans l’énergie créative. Et quand il avait un doute, il s’excusait et il s’isolait légèrement pour se reconnecter à lui mais tout en restant là avec nous. Un vrai capitaine prend la mesure de sa responsabilité dans la création de son œuvre, c’est lui qui va porter la vision ou la parole de ce qu’il a décidé de créer, il a pris des gens pour l’aider dans cette aventure et il va les porter. Donc c’est quelqu’un qui est très actif dans la recherche de sa justesse et de celle de ses équipes.

La confiance est fondamentale et donne des ailes. Plutôt que d’être dans l’angoisse du travail mal fait. Il vaut mieux accueillir la compétence de l’autre comme différente de la sienne, complémentaire. Reconnaître que l’on en a besoin et avoir un regard admiratif sur cette différence. Je prends l’exemple de la scénographie au théâtre qui est d’une importance majeure. Les metteurs en scène les plus puissants que j’ai rencontré sont totalement à l’écoute des éléments de vision apportés par leur scénographe. Ils sont fous d’admiration devant eux, comme ils peuvent être fous d’admiration devant les acteurs qui sont dans une autre compétence, dans une autre générosité. Et je pense que s’il n’y a pas cette admiration mutuelle, on est dans un système hiérarchisé où il n’y a plus de place à la création. Dans les états de création les plus productifs que j’ai vécu, chaque personne arrivait à s’exprimer sur ce qui était en train de se jouer. Tous les cerveaux travaillent en même temps, on est dans l’intelligence collective.

Tu as travaillé avec des metteurs en scène et des réalisateurs emblématiques, je pense à Chéreau, Claude Miller, Schnabel, Denis Arcan. Qu’ont ils en commun ?                                                                                      

Une nécessité vitale d’affirmer leur vision du monde.

Comment motivent- ils leur troupe ?                                                                                                                                      

Par leur énergie vitale, leur engagement et leur présence. Tout est une question d’attitude du leader du projet. A partir du moment où tu sens que ce qui est en train de se passer est très important, que le leader incarne cette importance, il n’a pas besoin de l’asséner. Cet engagement qu’il porte en lui engage son équipe et on est beaucoup plus motivé. Ça se joue aussi par leur présence, leur présence au travail, leur écoute, leur regard, leur manière d’être avec les autres. Ce sont des gens tellement à l’affut ! A l’affut de ce qui se passe autour. Il n’y a rien de pire que d’être au sein d’une équipe de 50 pers et qu’il y en ait 35 qui ne se sentent pas regardés. Un leader, qui veut motiver ses troupes, regarde l’investissement de chacun et communique avec tout le monde. Il rend chaque artisan de sa création important.

Comment définirais tu la Présence ?                                                                                                                               

Pour moi la présence, c’est le respect de son rythme intime. Quelqu’un qui va respecter sa respiration, son rythme intérieur, cardiaque ou de réflexion, cette personne va s’incarner entièrement. La présence c’est être ici et maintenant en se respectant.

Comment arrive t-on à cet état d’être?                                                                                                                       

Par exemple, dans le travail d’acteur, ce qui est très important, quand tu élabores le tissage psychologique du personnage, c’est de définir son rythme. L’école américaine est très forte là dessus. Après pour développer sa présence, pour laisser ce rythme intérieur émerger, je crois beaucoup au dépouillement, à la déconstruction. Avoir une confiance fondamentale en ce que l’on est. Et j’ajouterai : laisser librement circuler ses émotions et apprendre à les gérer. Mais pour cela il faut partir de soi et se dépouiller d’un mode de fonctionnement ou de posture qui serait extérieur à soi. Et je pense que la présence ne peut pas faire l’économie de cette connexion à soi. Même si tu crées un personnage public par exemple. Et en tant qu’actrice, je peux le dire, je ne peux pas créer un personnage si je m’exclus de cette création. Je ne peux pas tout fabriquer.

Est ce que pour toi la présence va aussi avec l’authenticité, la sincérité ?                                                

Sincérité peut être pas mais authenticité certainement. C’est de l’ordre du soi à soi. Prendre la parole c’est quand même pas rien ! Pour qu’elle soit écoutée il faut que ça parte d’un endroit de nécessité de dire quelque chose. L’écoute peut être aussi très présente. Donc la présence authentique, c’est la relation que l’on a avec soi même mais aussi aux autres. Cela sous entend d’être assez exigeant avec soi même. Et je trouve que cela manque, aujourd’hui, on entend un brouhaha. On a l’impression que tout le monde dit la même chose, parce que ce n’est pas authentique, incarné. La présence dégage une vérité qui impacte.

Crédit photo: Gilles-Marie Zimmermann

Vous retrouverez la deuxième partie de l’interview de Marina Hands très prochainement où nous aborderons les thèmes suivant : le talent, l’intelligence émotionnelle, la connexion au corps, la préparation avant une prise de parole….

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